Le courage de la fuite

par | Mar 16, 2023

Vous avez tous déjà vécu des situations dans lesquelles votre cœur balance entre d’un côté la difficulté de continuer dans une voie sans fin et de l’autre l’engagement que vous avez donné. Plus la situation s’amplifie et moins il est facile d’entrevoir les solutions. C’est même souvent pire, cette situation prend tellement d’ampleur dans votre vie, tant émotionnellement que structurellement, que vous ne voyez plus que ça.

C’est comme si, tel un boxeur, chacun des coups que vous prenez venait obstruer votre champ de vision pour vous empêcher de voir la réalité de la situation et vous accule dans les cordes. Depuis cette position, tel un joueur d’échec qui sent la pression monter, il ne reste finalement que peu de mouvements possibles.

 

Que faire alors ? continuer à lutter vainement contre des moulins à vent en espérant que votre adversaire aura pitié de vous? courber docilement l’échine en attendant des jours meilleurs?

Parfois la 3° solution qui consiste à délaisser l’arène et fuir s’avère bien plus courageuse qu’on ne le croit.

Pourquoi la lutte n’est-elle pas toujours le meilleur moyen ?

C’est tentant de lutter, c’est presque animal, c’est l’énergie de ceux qui ont une passion, qui veulent faire vivre leurs valeurs et les voir se concrétiser dans un projet. Que c’est réjouissant d’ailleurs de voir qu’on peut avoir un impact sur ce qu’on touche, ce qu’on côtoie et qu’on peut apposer notre « patte » et sublimer un projet, le rendre meilleur. Et quand ça ne fonctionne pas alors, que fait-on ? Que se passe t’il quand rien ne bouge ? La solution la plus évidente consiste à essayer de mettre encore plus d’énergie dans la bataille. Peut être faut il mettre les bouchées doubles, mettre plus d’impact.

 Toujours plus d la même chose donne toujours plus du même résultat

Paul Watzlawick

Pour ainsi dire, c’est d’ailleurs le meilleur moyen d’échouer. Quand quelque chose ne fonctionne pas et que vous essayez, encore plus fort, vous activez encore plus de résistances. Les freins qui s’étaient mis en œuvre dès le départ s’activent au plus haut point. Imaginez-vous en train de pousser une voiture avec le frein à mains. Vous pourrez y mettre toutes vos forces, plus vous pousserez, plus vous sentirez la résistance. Nul besoin de continuer dans cette voie, vous allez vous épuiser bien avant les freins.

Au final, vous en sortirez épuisé, incompris. Votre noble souhait de voir cette voiture avancer, reste irrémédiablement immobile, impassible. Ça vous rappelle quelque chose ? une situation analogue dans votre vie ?

Et si une des solutions était tout simplement la fuite ? Je sais pertinemment ce que la fuite évoque en termes de vertu, il n’y a nulle noblesse à fuir, à quitter le champ de bataille, la désertion est assimilée à un acte grave. Elle revient dans l’inconscient collectif à quitter son pays, son drapeau, renier ses valeurs et ses intentions.

Souvenons-nous de l’histoire de Don Quichotte. Après avoir lutté contre ces fameux moulins, (les moulins c’était mieux avant…) ayant abandonné la lecture de tout roman de chevalerie, il retrouve la raison et fait dès lors preuve de la plus grande sagesse, avant de mourir entouré de l’affection et de l’admiration des siens.

Quitter est un acte foncièrement volontaire.

C’est reprendre le contrôle sur sa vie, reprendre avec soi ce qui vous est cher. Imaginez qu’au beau milieu de la nuit vous êtes subitement réveillé par les flammes qui dévorent votre maison, vous avez seulement le temps de fuir et d’emporter avec vous deux choses qui tiennent dans vos bras (en dehors d’autres êtres vivants). Que prenez-vous ? souvenez vous que vous n’avez pas le temps de réfléchir, vous sentez déjà la chaleur intense autour de vous ? Quand vous acceptez d’abandonner un combat, vous ne partez jamais à nu. Fuir c’est aussi vous préserver du danger immédiat, c’est l’expression de votre capacité à dire non, à situer vos limites et vous permettre déjà de vous reconstruire sur un acte volontaire. Souvent a vie nous impose des défis que nous n’aurions jamais osé relever sans ces coups du sort.

Fuir, c’est faire de la place.

Les décisions que l’on prend sont rarement anodines ni évidentes. On ne vous demande jamais si vous préférez gagner au loto ou vous casser la jambe. Les conséquences de chaque décision ont des répercussions fortes, c’est ainsi qu’on s’enferme souvent bien plus que de raison dans des situations programmées d’échec par peur de provoquer des écueils encore plus grands ou inconnus. Souvenez vous combien les décisions radicales ont été difficiles à prendre et combien elles ont pourtant marqué un tournant dans votre vie. Des séparations, des démissions, des déménagements sont rarement vécus avec enthousiasme et pourtant elles ont permis de prendre ce fameux virage et se donner une possibilité de faire autrement. Mesurez tout ce que vous ont apporté ces décisions marquantes.

Alors oui, oser quitter une situation, un emploi, en engagement, un conjoint demande énormément de courage, souvent bien plus que de lutter dans une situation perdue d’avance. Elles permettent de créer un espace vide que votre intention se chargera de combler.

Certaines personnes confondent liberté et fuite. Nous ne pouvons pas être libres d’une prison que l’on construit et qui nous suivra toute notre vie.

Francis Machabée

Quitter, c’est changer radicalement de point de vue.

Souvenez-vous au début de l’article de l’analogie avec le joueur d’échec qui ne voit plus que le danger ou le péril devant lui. Lorsque l’on décide de quitter l’échiquier, on change de point de vue. Pour deux raisons :

  • Emotionnellement, vous évacuez instantanément la pression négative. Ce qui hantait vos nuits, perturbait vos moments de détente et venait parasiter vos pensées a soudainement disparu !

 

  • Vous basculez vers une zone de transition entre une situation passée et une nouvelle encore inconnue. C’est le champ des possibles dans lequel vous pouvez saisir les nouvelles opportunités ou juste devenir pour un temps attentif à ce que j’appelle la zone aveugle de transition. C’est justement en regardant à nouveau le monde avec ce regard neuf, avec la fraicheur d’un cœur ouvert à ce qui l’entoure et la disponibilité d’esprit des conditions crées du lâcher prise que vous allez vous retrouver en présence avec vous-même d’une large palette de possibilités. Cette zone de transition parait inconfortable de prime abord, c’est pour cette raison que fuir est un acte foncièrement courageux en soi. Courage de partir. Courage de se regarder, courage d’abandonner.

A quel moment fuir ?

Quand la situation fait du mal physiquement, émotionnellement, que vous y accordez bien plus de temps que nécessaire et que malgré vos efforts, votre implication, chacun de vos efforts ressemble justement à une énergie dépensée inutilement. Gardez justement une once d’énergie pour oser quitter plutôt que de vous résigner à regarder cette voiture immobile.

Ce n’est pas si simple de fuir, dans le processus c’est admettre avec humilité que vous ne pouvez rien changer ou que vous ne voulez plus de cette situation. C’est donc une situation qu’il convient d’aborder avec détermination pour accepter cet état de fait. Vous n’avez pas le contrôle ! Ce n’est déjà plus en vous. C’est le moment de déposer les armes et de vous tourner vers l’intérieur.

 Fuyez pauvres fous !!

Gandalf (avant de tomber dans la moria)

Vous pouvez monter dans une autre voiture, arpenter d’autres chemins et un jour qui sait, en repassant devant la 1° voiture vous aurez peut-être la bonne surprise de constater qu’elle aura avancé elle aussi, sans vous. Vous vous demanderez comment elle aura fait ou bien vous poursuivrez votre route sans vous en soucier, vous avez fait du chemin depuis…

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