Quand on cherche à décoder les interactions systémiques en entreprise, il est parfois très difficile de comprendre tous les enjeux, les jeux de pouvoir et les secrets qui sous-tendent les relations entre les collègues, et ce quel que soit le rapport hiérarchique.
J’aimerais attirer votre attention sur ce qu’on appelle la logique du Potlach.
A l’origine, il s’agit d’un ensemble de rites polynésiens constitué d’échanges de biens où chaque donateur est tenu de donner au moins autant que ce qu’il a reçu précédemment.
Ceci étant dit, quel est le rapport avec le monde de l’entreprise ? Vous ne voyez pas encore le lien ?
Dans les organisations structurées, ce phénomène est largement répandu dans le pseudo-secret et par lequel jaillit la source de la plupart des jeux de pouvoir.
Considérons que votre collègue A, avec qui vous n’entretenez pas forcément de rapport particulier vous rend un service quelconque, vous vous sentirez redevable d’une contrepartie au moins équivalente. Si ce n’est pas le cas, rassurez-vous, votre collègue vous le fera ressentir à sa manière.
C’est donc à cet instant que le jeu commence, je parle de jeu même s’il s’agit davantage de véritable stratégie d’influence. Entrer dans la partie signifie favoriser une relation au détriment d’une autre. Puisque s’est instaurée une relation « créancier – débiteur » allez-vous être totalement neutre quand viendra votre tour pour vous exprimer sur les idées exposées entre plusieurs collègues? Sans vous en rendre compte, n’allez-vous pas favoriser l’idée de celui qui vous a rendu un service, aussi minime soit-il ? Certains sont de grands spécialistes dans le domaine du Potlach, ils savent donner et comptent bien recevoir leur dû. Vous risquez même de vous exposer à de sérieuses représailles si vous n’acceptez pas les règles.
Imaginez donc ce rituel se développer au sein d’une organisation parmi tous les employés, sur plusieurs mois, plusieurs années. Il en ressort indéniablement des désordres inhérents à l’escalade des dettes et de leur réciprocité rendant les liens transverses plus ou moins fluides. Les dettes se transmettent même aux nouveaux employés, reprenant les dettes de ceux qu’ils remplacent !! La logique du Potlach est sournoise, insidieuse et ne connait aucun frein même hiérarchique.
Au final, chaque relation impliquant plusieurs personnes met en lumière ce rite de dettes. Il est même encore plus couteux de chercher à en sortir ce qui équivaudrait à offenser l’autre et ternir la relation. C’est un des phénomènes décrits en analyse transactionnelle de E. Berne et reprit par le triangle de Karpman dans lequel se joue le rapport suivant :
Situation de départ : 1° service rendu
Temps 1: le créancier = sauveur & persécuteur —- le débiteur = victime
temps 2 : de part la logique du potlach, le débiteur rembourse sa dette et devient le créancier, les rôles s’inversent et une 3° personne fait son entrée, victime de ce jeu
nouveau créancier = sauveur—–nouveau débiteur = persécuteur ——–autre collègue hors de la logique du potlach = victime
Ce cercle infernal de changement de rôle se poursuit indéfiniment, augmentant le niveau de la dette et donc du préjudice potentiel pour la victime finale, c’est à dire celui qui est en dehors du jeu de dettes. Lui-même aura potentiellement constitué cette même logique avec une ou plusieurs autres personnes.
Le seul moyen pour tenter de sortir de ce rituel est de démystifier le secret de polichinelle qui sous-tend l’escalade des relations:
- Soyez au clair de ce que vous devez aux autres et de ce qu’ils vous doivent.
- A chaque échange de bien ou de service, communiquez sur le sens de cet échange.
- Observez attentivement les échanges entre vos collègues pour mesurer le niveau de dette respectif.
Et pour vous, si vous repensez aux échanges avec vos collègues, quelles relations serait il plus sain de repositionner sur des bases saines, exemptes de toute dette?