Nous avons tous écouté attentivement Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 14 juin dernier, rendant obligatoire le retour à l’école pour tous les élèves. Dans le même temps, les établissements scolaires sont une nouvelle fois soumis à de nouvelles règles de distanciation sociale.
Pour les chefs d’établissement, accueillir tous les élèves tout en adoptant ces nouvelles règles est devenu un casse-tête insoluble. Conséquence directe : chacun est mis devant les responsabilités de l’autre et donc face au vécu personnel d’un échec collectif :
- Echec pour les chefs d’établissement de ne pouvoir véritablement accueillir tous les élèves.
- Echec pour les parents et les entreprises de ne pouvoir reprendre une activité pleine.
- Echec pour les enfants de ne pas terminer sereinement l’année scolaire.
La question que l’on peut se poser dans cette situation, c’est pourquoi cette injonction paradoxale ? La réponse est plutôt basique qu’elle en devient même absurde. Dans le cas présent, les décideurs ne sont pas ceux qui vont mettre en œuvre les décisions. Ils attendent uniquement les résultats, les détails de leur mise en place ne font pas partie de leurs préoccupations.
Ces injonctions paradoxales, que l’on appelle également double contrainte, nous en vivons tous en entreprise, quel que soit notre niveau hiérarchique dans l’entreprise, soit nous les subissons en essayant d’accomplir l’impossible soit nous les imposons sans même nous en rendre compte à nos collaborateurs.
Définition des injonctions paradoxales :
Ce sont les exigences de la hiérarchie à accomplir deux objectifs perçus comme contradictoires ou incompatibles.
Quelques exemples pris au hasard :
- Proposez des idées, mais respectez toutes les règles établies.
- Vous bénéficiez d’une salle de détente, si vous y allez vos collègues vont vous prendre pour un fainéant.
- Soyez plus autonome, mais toutes vos décisions devront être approuvées au préalable.
- Allez voir davantage de clients pour augmenter le volume de commande et diminuez vos frais de déplacement.
Le fonctionnement de la double contrainte sur notre cerveau
Ces ordres sont exprimés de manière implicite ou explicite et nous mettent en situation d’impossibilité d’en satisfaire un sans en violer d’autres.
La situation revient à chercher à atteindre quelque chose d’irréalisable, l’expression poursuivre une chimère* prend ici tout son sens.
Le paradoxe va créer un conflit dans l’esprit de la personne, qui va chercher à résoudre tous les aspects du problème, en s’éloignant de plus en plus de la finalité globale.
Personnellement, je la classe dans les techniques de manipulation mentale. Je m’explique : l’effet immédiat et soutenu étant de mettre l’autre en échec, un rapport déséquilibré de dominant/dominé s’installe. Pire encore, le lien de subordination dans une organisation interdit le conflit et la rébellion.
Ce mécanisme va créer un sentiment de frustration lié à la fois à la conséquence de l’échec mais aussi à la mauvaise communication.
La victime des injonctions paradoxales n’a d’autre choix que de devenir docile ou de quitter sa fonction !!
Comment concilier l’inconciliable ?
Impossible, on vous l’a dit, n’essayez même pas, vous êtes déjà en situation d’échec, vous allez vous épuiser. Les injonctions paradoxales seraient même la cause de la schizophrénie !!
La double contrainte consiste précisément à vous demander de concilier des opposés. Comment allier sécurité et risque ? Comment allier qualité irréprochable et délai contraint ?
Dans l’ère actuelle de l’injonction du bonheur au travail, comment concilier cette notion avec l’impérieuse nécessité de résultat, de pression ? Les entreprises ont compris pour la plupart que l’efficacité de leur organisation passait certes par le bien-être de leurs salariés. Mais alors comment demander à la fois de rattraper le retard, de mettre les bouchées doubles, de faire fi de la situation et de conserver la motivation et l’implication de ses équipes ? (cf article bonheur au travail)
Retenez également que vous ne pouvez pas considérer que 100% de vos taches sont des priorités absolues.
Comment se sortir de la situation de la double contrainte ?
1/ Repérez la double contrainte, soit par les mots utilisés. Soyez attentif justement à ce terme « En même temps ». Il est le signe annonciateur de ce qu’on appelle une injonction paradoxale, c’est-à-dire une situation dans laquelle vous n’avez aucune possibilité d’éviter une situation d’échec.
2/ Ne vous engagez jamais dans une action en étant sur d’échouer.
3/ Communiquez sur la communication : dévoiler les non-dits, repérez les demandes tacites. Pour dépasser une injonction paradoxale, autorisez-vous à communiquer sur l’absurdité de la demande elle-même.
4/ Gardez en ligne de mire l’objectif suprême. Si on vous demande de respecter impérativement un délai très contraint et une qualité optimale, qu’allez-vous mettre en priorité ? Si vous ne pouvez pas respecter les 2, votre client sera dans tous les cas déçu et votre relation en sera affectée pour longtemps. La seule question à vous poser, c’est comment le satisfaire avec les moyens dont je dispose actuellement ?
5/ Adoptez un comportement différent :
- osez l’humour, la métaphore, la créativité, la spontanéité
- révélez-vous, c’est l’occasion de montrer votre courage de remettre en question des situations, de révéler votre potentiel. Vos supérieurs n’attendent pas forcément que vous obéissiez aveuglément. Prenez position, proposez de manière constructive votre façon de faire, de penser.
En d’autres termes, prenez votre place, assumez votre fonction, et vous allez engranger de la confiance et gagner en autonomie.
Et du coté du manager ?
Pour un manager qui se veut responsable, proche de ses équipes, assurez-vous que votre demande est compatible avec leur compétence, leur planning, leur charge de travail, leur organisation actuelle…
✔ Attribuez les objectifs en relation avec les moyens dont disposent vos collaborateurs.
✔ Allez requérir dès le départ leur assentiment sur la faisabilité du projet. Levez les freins, communiquez clairement sur vos propres besoins, levez tous les doutes, les non-dits. Restez ferme et souple à la fois (tiens, encore une injonction paradoxale !!)
✔ Si toutes ces conditions ne sont pas réunies, cherchez ensemble une autre façon de prendre le problème dans son ensemble, un moyen tout aussi efficace et compatible avec les ressources et les moyens de votre équipe.
L’idée globale est d’instaurer une confiance réciproque dans le fonctionnement de votre équipe. Vous serez serein quant au résultat attendu et votre équipe se sentira soutenue et comprise.
*monstre fabuleux doté d’une tête de lion, d’un corps de chèvre et d’une queue de serpent, qui crache des flammes et dévore les humains.